lundi, avril 29, 2024
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Le pouvoir religieux

Les relations entre les pouvoirs temporel religieux et traditionnel ont toujours été une préoccupation majeure des sociétés car ils embrassent chacun un domaine vital des individus de cette société. Leur interdépendance fait qu’une société qui veut vivre en paix et atteindre un développement durable doit nécessairement trouver un équilibre entre eux. Le développement durable étant une conception du développement axée sur un processus qui impose que les sociétés humaines doivent vivre et répondre à leurs besoins du moment sans compromettre la capacité des générations futures à répondre à leurs besoins propres.

Ainsi, le développement durable est à l’intersection de trois domaines ou piliers à concilier, à savoir l’économie et l’environnement dans la préservation  des  écosystèmes  écologiques  à  travers  la  biodiversité,  le social à travers l’éducation et la santé la préservation des patrimoines immatériels et culturels dans le respect des us et coutumes, l’éradication des inégalités sociales, particulièrement dans l’inclusion sociale entre autre…

Cependant ce qui est intéressant de souligner c’est que tous les trois pouvoirs n’ont pas une même inspiration. C’est la raison pour laquelle nous avons trouvé utile de redéfinir ce qu’on entend par ces pouvoirs avant d’entrer dans la problématique de la dynamique de leur interaction. Le pouvoir temporel : incarné par l’état, il peut être institutionnellement considéré   comme l’ensemble des pouvoirs d’autorité et de contrainte collective que la nation possède sur les citoyens et les individus en vue de faire  prévaloir  ce  qu’on  appelle  l’intérêt  général et  avec  une  nuance éthique le bien public ou le bien commun. Par cette définition le pouvoir ne peut s’exercer que dans le cadre de groupes humains (Hubert M.G Ouedraogo dans Mondes en développement 2006/1(N° 133)

Le  pouvoir  traditionnel  est  un  pouvoir  légitime  par  la  croyance  que l’ordre établit de manière immémoriale par des traditions est sacré en lui- même. Que cela suffit à justifier par conséquent ce qui ont reçu l’autorité, selon les mêmes traditions ont le droit de l’exercer autrement dit c’est un pouvoir légitimé non seulement dans leur immersion dans le moeilieu et les réalités sociales et culturelles locales mais aussi dans le fondement ancestral dont il se réclame comme l’a écrit Halpougdou tout pouvoir traditionnel est dénué de sens et de réalité sans l’investiture des ancêtres c’est à dire dans la dimension sacrée et mythique attribuée au pouvoir. Le pouvoir religieux fait référence à un Dieu selon la conception théologique de cette religion ou cette croyance. C’est cette représentation qui définit la relation qui doit exister entre ce Dieu et l’individu. L’essence de la religion est individuel c’est à dire que la réalité religieuse s’établit directement entre l’individu et Dieu.

Dans le cadre  de cette  conférence, loin des définitions théoriques, le pouvoir religieux qui nous intéresse est la religion musulmane incarnée par notre prophète PSL Mouhamadb. Abdallah. À ce titre il est investi des pouvoirs militaire et spirituel des musulmans. Son magistère religieux s’accompagne également d’un pouvoir absolu et de sa légitimité à mener des conquêtes militaires au nom de l’islam à l’image de ce que ce Dieu a dit dans son saint livre : Sourate « la vache » verset 30 «  Et lorsque ton Seigneur dit aux anges : «  je vais désigner un lieutenant sur la terre » Ils dirent ; « vas-tu en désigner un qui y mettra le désordre et répandra le sang, alors que nous, par Ta louange chantons pureté, et proclamons Ta sainteté ! » Il dit «  en vérité je sais ce que vous ne savez pas ! » Et dans un autre verset le Très-haut a dit : Sourate « S’AD » verset 26 O David, oui, Nous t’avons désigné Lieutenant sur la terre, juge donc en droit parmi les gens, et ne suis pas la passion ou elle t’égarera du sentier de Dieu » Oui ; à ceux qui s’égarent du sentier de Dieu un dur châtiment pour avoir oublié le Jour des Comptes. »

C’est ainsi que les califes qui représente le prophète PSL sont chargés d’assurer la continuité jusqu’au jour Dernier. Sans entrer dans les divergences entre les exégètes on peut dire que ces deux versets parlent d’Adam  et  Daoud  et  ces  compétences  qui  sont  transmises  à  notre Prophète Mouhamad qui les transmit à son tour aux califes et ce sera ainsi jusqu’à la fin des temps.

Après avoir sommairement défini ces pouvoirs, la question qu’on est en droit de poser est de savoir comment ces trois pouvoirs doivent interagir et quelle dynamique ils doivent exercer pour que notre Nation se développe ? L’objet de cette communication sera donc de faire immersion dans notre passé et mettre en lumière les pratiques et enseignements de nos guides religieux et spirituels tels que les animateurs de la révolution Torodo de 1776 et à leur tête Thierno Souleymane Bal, au vénérable Cheikh Oumar Al Fouti Tall, à son petit-fils Thierno Seydou Nourou Tall, et à son califes Thierno Mountagab. AhmedTall pour parler du Fouta Tooro  sans  oublier  nos  autres  guides  vénérés  et  respectés  des  autres régions du Sénégal. Ils sont nombreux nos califes qui ont façonné la mémoire collective des musulmans du Sénégal mais les circonstances et le temps ne nous permettent de nous étendre dans tout le pays. On se contentera de nous focaliser sur le Fouta – Tooro, espérant que des chercheurs plus habilités s’occuperont de cette question dans les autres régions du pays.

Nous tenterons de voir dans quelle mesure ces enseignements et pratiques peuvent être utilisés comme un modèle capable de faire face aux divers défis du présent et du futur prévisible pour faire émerger notre pays et conduire au bonheur de la nation.

Avant d’aborder la nature des pouvoirs temporels religieux et traditionnel nous aurons besoin de faire l’état des lieux des pouvoirs traditionnels des royaumes et empire dans l’espace Senegalo-Mouritanien et Sénégambien avant la colonisation et comment ces espaces ont été traversés par le pouvoir colonial.

Sébastien D’Angelo dans son livre intitulé politique et marabouts au Sénégal (1854-2012) nous peint un tableau intéressant à ce sujet. Il nous dit ceci: « La zone Sénégalo- mouritanienne a vu se succéder des différents empires et royaumes dont la taille s’est progressivement réduite. C’est sur la base territoriale de deux de ces empires que la République du Sénégal a vu le jour en 1960.

Les royaumes wolof, du Toro et du Sine Saloum partageaient certaines caractéristiques communes comme le mode d’organisation de la vie politique   et   hiérarchisation   sociale   mais   ils   conserveraient   leurs particularités qui s’exprimaient notamment à travers la question religieuse. On peut en prendre par exemple le FoutaToro qui a connu des chefs politiques non-musulmans ou même réticents à l’islam. Il n’en reste pas moins que l’islam était très répandu et que le Fouta a vu se développer en son sein une théocratie musulmane entre le 18e et  le 19 e siècle. La propagation de la foi musulmane a été plus lente dans les territoires wolof où les réformateurs de l’islam se sont opposés à une classe dirigeante qui est restée longtemps animiste, voire anti-musulmane. L’islam s’est également diffusé dans le Sine – Saloum et la Casamance, mais ces deux régions ont conservé d’importantes communautés animistes et sont également devenues les principaux foyers chrétiens du Sénégal. En conséquence de cela si l’islam reste la religion la plus répandue du pays les pratiques religieuses varient en fonction des différentes régions.

La  République  du  Sénégal  doit  donc  se concevoir dans  une  diversité ethnique et religieuse et non pas comme une République monolithique qui se serait construite autour d’un modèle Islamo-wolof (Diouf ; 2001)- A l’heure de l’aventure coloniale, l’administration française a exploité l’instabilité   sociale   qui   régnait   au   Sénégal   en   s’alliant   soit   avec l’aristocratie, soit avec les forces maraboutiques et ce, afin de faire aboutir son projet colonial ». C’est exactement la réussite de ce projet colonial qui a conduit les espaces Sénégalo-mouritanien et Gambien dans d’interminables bouleversements à la suite desquels les conflits entre les pouvoirs se sont exacerbés. En prenant l’exemple du Fouta -Toro voyons comment  le  mouvement  Torodo  appelé  aussi  révolution  Torodo  a renversé  le  pouvoir  dynastique  des  satiguide  Koli  tenngalla.  Cheikh Souleymane Ball et Almamy Abdoul Qadiri Kane (1726-4 Avril 1807)

Dès la fin du 16e siècle déjà, nous dit  feu Oumar Kane dans son livre : la premièrehégémonie Peule» les marabouts soninke du Gajaaga s’étaient organisés autour de Gunguru et Dramane en une République théocratique pratiquement indépendante des Tounka.

Le Bundu est décrit par Charpentier comme une République composée de trois états : marabouts, nobles et artisans. « Le premier est les marabouts dont le plus grand passe pour roy. Il ne fait rien qu’il n’aient assemblé les trois Etats pour tenir conseil et n’agit que par délibération »

Cette République du Bundu s’est formée à la suite d’une guerre de succession aux dépens du royaume du Fouta : « Ayant été taxé d’impôts extraordinaires ils en secouèrent le joug et s’érigèrent en République .Dans le   même   ouvrage   le   professeur   Oumar   Kane   avance   ceci :   « les révolutionnaires de 1776 sont des idéologues qui se situent, dans la droite ligne d’Ibn Yaasin, d’AL Hadrami , d’Al Maghili et de Nasr AL Din. Il est intéressant de faire un rapprochement entre les tandems AL Hadrami, Abu Bakr ibn Umar , Al Maghili, Askia Mouhamed et Ceerno Sileymaan ; Almaami Abdul .Il est curieux de remarquer a un siècle de distance que sileymaan Baal développe devant SatiguiSuleNjaay, les mêmes thèmes que développait Nasr Al Din devant les rois de Sénégambien au 17esiecle . Tous les condisciples de Pir étaient d’accord sur la nécessite Dun changement de régime au FoutaToro .Il sont nombreux et nous en citons quelques-uns.

Ceerno Sileyman Baal de bood Abdoul Qadriri Kane de Kobbilo Bayla Perrejo Soh de Haaure, Elimane Bubacar Kan de Dimat, Tafsir Jaabiri de Jaanûm, Alfa Amar Seydi yero Buso de hoorefoonde, Tafsir Amadou Hammat Wan de Kanel, Ceerno Abdarahman Sall dit tenanta jannggobe de jandioli, Ceerno Abdoul Karim jaawando de seeno Paalel, Alfa Amadu Nâh dit Elimane lewa de Soringo, Ceerno yussuf lam de Jaarangel, Ceerno molle Mamadou Lih de Cilon et certainement d’autres…

Pour eux le pouvoir deeniyanke ne correspond plus à la réalité sociale et religieuse du pays et que Deenijankoobe et Kolujaabe ne sont musulmans que de nom car leur pratique religieuse laisse à désirer.

Leur  islam  est  entaché  de  pratiques  païennes,  une  réforme  profonde s’impose en matière religieuse et en matière politique. Les condisciples de Pir  sont  également  préoccupés  par  la  situation  politique  du  Fuuta, caractérisée  par  une  grande  dépendance  à  l’égard  des  maures  qui l’exploitent   comme   une   terre   de   païens.   Les   Deenijankoobe   se complaisent dans cette situation sans réagir. Là, aussi, un changement s’impose : l’émancipation du Fuuta islamisé de la tutelle des Maures. Ce parti tooroodo tente et réussit à faire adhérer à sa cause les éléments islamisés des Fulbe et de Sebbe, faisant des concessions à la coutume et à la  tradition  en  matière  de  justice  à condition  qu’elles n’aillent  pas à l’encontre de l’esprit du Coran et des principes fondamentaux de l’Islam. L’abolition de Muudo Horma :Ceerno Sileymaan se rend à Njafaan ou devait être concentré le muudo horma du Bosseya et s’adresse en ces termes aux plénipotentiaires de (Mohamed Ould Heyba venus recueillir le tribut « vous n’avez aucune qualité pour percevoir la dime qui est destinée aux démunis (fahir ou miskin), aux combattants du jihad, aux nouveaux convertis à l’islam, à celui qui rassemble la zakat, aux voyageurs qui n’ont pas les moyens de rentrer chez eux, à l’endetté insolvable, au rachat des musulmans asservis. Il fait allusion au verset du Saint Coran, sourate 9, verset 60

En plus de la proclamation de la déchéance du régime deeniyanke, l’assemblée des seerenbe (marabouts) énonce un certain nombre de principes qui doivent guider l’action administrative.

–   Egalité de tous devant la justice

–   Les chefs de provinces et de villages, assistés de kadi connaitront les affaires locales à conditions de se conformer aux prescriptions islamiques.

–   Les conflits entre collectivités voisines sont soumis à l’arbitrage de l’almaami qui prononce le jugement ou indique la marche à suivre pour régler le différend ;

–   Tout individu a droit de faire appel auprès de l’almmami s’il se sent lésé par un chef ou par un jugement :

–   L’impôt ou le produit des amendes et tous les revenus de l’Etat (bait al-maal) doivent être utilisés à des actions d’intérêt général,

–   L’almaami, responsable de la défense peut requérir les services de tous les hommes valides à cette fin.

–   Protection  des  faibles :  orphelins,  femme,  enfants  et  vieillards (Oumar Kane) 2004 :525-526-527)

Pour savourer leur victoire après avoir mis les maures en déroute les partisans de Ceerno Sileymaan Baal pendant qu’il dormait abandonnèrent leurs postes et passèrent sous les tentent où ils violèrent les femmes. Les maures qui s’étaient embusqués non loin du campement revinrent sur leurs pas. Ils massacrèrent un grand nombre de Fuutahkoobé. Silemaan Baal meurt dans ces circonstances à l’âge de 56 ans ; il est enterré à Fori Mawnde ou Jeryel – Tumbere, auprès du baobab de Sammba Gelajo jeegi (Oumar Kane 2004, 527)

Almaami Abdul Quadiri Kan (1926 – 4 avril 1807)

Le nouveau régime forgé par les efforts inlassables d’Almaami Abdul, adopte les prescriptions islamiques comme fondement de sa politique intérieure et extérieure (P604) en contrepartie de son engagement d’exercer les fonctions, il fit accepter au conseil les exigences suivantes :

1.  Ne jamais accepter que les maures foulent le sol du Fuuta sauf pour acheter du mil et sur autorisation de l’almaami de façon générale, tout étranger ne peut entrer dans le Fuuta sans avoir demandé et reçu l’autorisation du chef du pays. Ne jamais plus accepter que le Bambara viole le pays, il sera soumis aux mêmes conditions que le maure, le Barak du waalo, le dammel du kajoor et le burba (du jolof seront mis dans les mêmes conditions que le maure et le Bambara ;

2. Reconnaitre et défendre les limites du Fuuta

3. Tous  les  anciens  titres  (Ceerno,  ardo  joom,  jaagaraf,  Bummuy, farba, elfeki, elimaan) dignités et prérogativesantérieures au régime seront conservés à condition que les titulaires se convertissent à l’Islam et conforment leur vie aux préceptes du Coran, à conditions aussi qu’ils n’entreprennent rien sans prendre son attache.   Tous ceux qui refusent ces conditions sont libres de quitter le pays, avec leurs familles, mais en y laissant leurs biens.

4. La justice sera rendue dorénavant selon le Livre et les hadiths ;

5. Egalité de tous les hommes devant la justice ;

6. Toute personne condamnée pour non-respect de la loi et de la justice peut quitter le Fuuta, mais perd ses biens ;

7. Toutes les fois que l’almaami lève une armée pour faire le jihad, l’obéissance aveugle est de rigueur,

8. Pour assurer la relève de l’ancien régime, tout village doit choisir deux responsables l’un deux pour diriger la prière (imam) et l’autre pour rendre la justice selon le Coran (le qadi) chacun d’eux se choisira un suppléant le chef du village est nommé par l’almaami

9. Une fois le choix fait, l’imam et le juge assurent leurs charges au nom de l’almaami, et tous les habitants leurs doivent, à ce titre respect et obéissance

10. Toute dîme levée sur les récoltes et sur les troupeaux du Fuuta est destinée aux pauvres du Fuuta elle ne doit donc, en aucun cas sortir du  Fuuta.Ce  sont  là,  les  conditions  qui  furent  acceptées  par l’assemblée du Fuuta qui, de son côté demanda à l’almaami de consulter les Jaagorde sur les problèmes vitaux du pays. (Omar Kane ; 54 2004, 542-543).

Les Jaagorde en question sont :

Ali  Dundu,  Elimaan  Siree,  Sammba  Yeene,  Bummuy,  Nduetbe, Elimane Rinjaw, Ardo Samba Dede, Demba Nayel (Pour Mollien). Du temps de Almaami Abdul les Jaagorde étaient au nombre de cinq dont trois Fulbe (Paate Bunngu Bah de Bunngu Ciiwkon, près de Asnde Balla – Yeene Sammba Bah, de Bunngu Ciiwkon et Ali Siidi Bah de Mbolo Ali) et deux toorobbe (Ali Dundu Segele Kande Dabia  Odeeji  et  Amar  Bela  Raasin  Aaan  de  Peté)  mais  Cheikh Moussa  Kamara  cite  « Ali  Siidi  –  Ali  Dundu,  Siley  Amar,  Saajo Dundu, Sawa Dewa Nayyel, Sawa Yeene, Galo lummbal, hammadi Ilo)

Pour bon nombre de toorobbe, le règne trop long d’almaami Abdul a enlevé tout espoir de s’assoir sur le tapis almaami

Quant aux Jaagorde, ils jugent trop puritain et trop rigoureux le régime d’almammi Abdul, ils reprochent à celui-ci de n’avoir aucune considération pour leur rang et de réunir leur prestige et leur crédit dans leurs zones d’influence respectives en permettant au menu peuple de faire directement appel à son tribunal.

Almaami Abdoul exerce une véritable hégémonie sur l’ensemble de la Sénégambie avant de tomber le 04 avril 1807 sous l’action conjuguée de l’opposition intérieure et des ennemis de l’extérieur (Oumar Kane ; 2004 ;604)

La chute d’Almami Abdul Qadiri Kan et l’échec de l’Almami au Fuuta Torro nous oblige de parler du génie de son siècle ; El Hadji Omar Al-Fuuti Tall (1797 -1864)

Beaucoup de recherches et de publications ont été réalisées au sujet de la personne du Cheikh El Hadji Oumar Al-Fuuti Tall, mais elle demeure énigmatique et mythique presqu’à nos jours.

Chaque chercheur selon l’orientation de sa recherche lui attribue un qualificatif.  Les  uns  ont  dit  de  lui  qu’il  était  un  marabout conquérant, d’autres un théologien, d’autres un saint, d’autres un nationaliste, d’autres un soufi etc….

En  tout  état  de  cause  ces  différents  qualificatifs  font  de  lui  un homme multidimensionnel et un acteur inégalé de la vie religieuse et politique en Afrique.

Ecoutons ce que dit Mage à propos de ce saint homme. « Al Hadji Omar quitta le Fouta Djallon et se dirigea d’abord vers le Rio Grandet et la Gambie, puis le Sine Saloum, le Baol, le Kajoor (où il ne s’arrêta pas, mais où il reçut quelques présents) puis le Waalo. A Donnay en 1846. Il disait alors vouloir pacifier le Sénégal, établir l’harmonie entre les races et assurer la sécurité du commerce. Mr Caille l’approuva et lui aurait donné quelques présents (Fernand Dumont 1975 ; 59)

Fernand Dumont dans l’anti-sultan ouvrira une nouvelle approche pour comprendre la pensée du Cheikh El Hadji Oumar.

Il dit ceci : la synthèse de la pensée religieuse du combattant de la foi, révèle que Alhadji Omar fut avant tout un savant théologien, un propagateur de la foi, un adepte et un revivificateur de la voie mystique et militante de l’imamAhmed Al-Tidjani. Fernand Dumont fut amené par des faits à rejeter l’image trop facile, du « conquérant Peul » fondateur d’empire temporel, telle que l’onétablie Paul Marty à l’aube du 20ème siècle ou Faidherbe et ses officiers à la fin du 19ème siècle et telle que l’ont reprise bien souvent, des auteurs contemporains. L’Etude exhaustive des faits et les écrits fournit aujourd’hui une interprétation nouvelle et enrichissante de la vie et de l’action de celui qui ne voulut être et ne fut réellement que le défenseur et le propagateur de l’islam en Afrique Occidentale (Fernand Dumont 1974)

Dans Anonyme de Fés, Jules Salenc disait « Al Hadji Omar fut un océan de sciences théologiques. Il combattit pour Allah comme il convient que l’on combatte pour Lui, et il a été l’un des Kalifes du Prophète à la tête de son propre peuple »

Pour quiconque voudrait comprendre la pensée du Cheikh El Hadji Omar, il lui faut selon Ferdinand Dumont faire recours à ses écrits qui dégagent avec authenticité sa pensée religieuse et philosophique. Cheikh El Hadji Oumar a écrit beaucoup d’ouvrages et voici ceux qu’on trouve dans l’Anonyme de Fès (l’Anti-Sultan) P89)

1- Al- Rimah « les lances » (titre abrégé)

2- Kitab al Suyuf, « le livre des épées » ouvrage traitant, comme le premier de la voie tijani

3-  Kitab safinat al saada li-ahli al-du’af wa-al-naja-da « le livre de la nef du bonheur pour les hommes faibles et pour les courageux » (Poème)

4- Kitab al-nush-al-mubin « lelivre des conseils éclairés

5- Kitab al –makasid al-sanyya « le livre des desseins sublimes »

6- Kitab tadhkiratal ghafilin. « Rappel aux négligents »

7- Kitab tadhkirat al- mustarshidin » rappel à ceux qui sont dans la bonne voie »

8- Kitab falah al tâlibin » le bonheur des postulants

9- Taqyyid fi khawwas hizb al sayfi « Opuscule sur les vertus du hizb al sayfi »

10-    Ajwiba fi al tariq al tidjaniyya « réponses relatives à la voie tidjaniyya »

En puisant dans les profondeurs de sa pensée, on comprend aisément que le Cheikh El Hadji n’a jamais eu des ambitions pour obtenir des privilèges dans ce monde ici-bas. Au contraire toutes ses idées dans ses ouvrages renvoient à l’adoration, à la matérialisation de sa mission religieuse et à

ses relations avec le Seigneur. Par la foi, il a voulu faire de l’Afrique occidentale une terre où règne la foi islamique, l’harmonie, la paix et la sécurité. Hélas, c’est ce que les pouvoirs traditionnel et colonial ne l’ont pas permis de réaliser.

Evolution des relations entre les guides religieux et l’administration

coloniale

Nous emprunterons l’expression de Sébastian D’angelo pour appeler cette période :    Processus    d’accommodation    entre    les    marabouts    et l’administration coloniale.

A la fin du 20e  siècle, la conquête territoriale du Sénégal était achevée et les réformateurs musulmans étaient pratiquement tous vaincus. L’heure était donc venue pour l’administration coloniale d’organiser un territoire pacifié et sécurisé. Cependant le manque de légitimité des dirigeants français auprès des populations les a conduits à repenser leur politique coloniale (Sébastien D’angelo ; 2013 : 78)

Le climat de tensions qui a prévalu entre les pouvoirs temporel, religieux et  traditionnel  depuis  les  deeniyankoobe  les  rois  du  Joloff,  du  Sine Saloum, du Walo, du Baol, du Bundu, du Gajaaga à Ceerno Sileymaan Baal, Alamaami, Abdul Qadiri Kan et El Hadji Oamr Tall n’aura que changer de nature mais n’a pas disparu comme on le pense, car ces pouvoirs sont dialectiquement liés.

Néanmoins un équilibre peut être trouvéde temps en temps.

C’est ce que nous allons tenter de voir avec ce que Yussuf Zaydan dans son ouvrage (Al-lahut al-arabi –wa usul-al-unf –ad-dini 2009) a écrit

Les pouvoirs étant naturellement liés par des interactions forment des rouages qui fonctionnent suivant un mécanisme dialectique. Les relations entre les pouvoirs temporel, religieux et traditionnel peuvent être comparés d’une façon schématique aux saisons de l’année. Les quatre saisons de l’année comptent deux solstices et deux équinoxes. Lorsque le

soleil est au début de Bélier (21 mars 19 avril) pendant le printemps on constate l’avènement de l’équinoxe du Printemps. Le jour et la nuit sont d’égale durée. Quand le soleil atteint le Cancer, le solstice d’été arrivait (22 janvier 22 juillet) et le jour commence à devenir court. Lorsque le soleil est au niveau de Balance (23 septembre 23 octobre), l’équinoxe d’automne fait surface pendant lequel il ya encore égalité de durée entre le jour et la nuit. Quand le soleil atteint Capricorne (22 novembre 22 décembre) arrive le solstice d’hiver pendant lequel le jour commence à être progressivement plus long et on revient à l’équinoxe du printemps. Il atteint ses hautes limites à l’avènement du solstice d’été. Nous constatons aussi   deux  solstices  (été   –   hiver)  et  deux  équinoxes  (printemps, autonome). La religion et la politique ont chacune deux orbites qui tournent autour de leur axe. L’axe de la politique c’est le pouvoir, que ce soit une personne, un empereur, un roi, un président, un chef de tribu ou que le pouvoir soit entre les mains d’une communauté démocratique ou oligarchique etc…

L’orbite du pouvoir religieux est Dieu, selon la représentation théologique que l’on se fait de cette religion ou de ce dogme c’est la représentation qui régit la nature de la relation entre Dieu et l’individu. La première nature de la politique c’est qu’elle est collective c’est – à – dire qu’elle ne peut pas s’exercer en dehors de la société humaine, tandis que la nature essentielle de la religion est individuelle c’est -à-dire que la foi s’établit entre l’individu et Dieu. Il y a ainsi une imbrication entre les pouvoirs politique et religieux et une intersection entre les deux de l’axe central. Le pouvoir politique ne peut pas réguler la société sans passer par l’individu et pareillement il est impossible pour un individu de fonder sa vérité religieuse particulière sans se référer au sacré qui prendra sa source dans une société. La société est sa source première. Dans la plupart des cas, les religions naissent subitement et elles dictent la démarche à suivre que ce soit du vivant du prophète ou l’envoyé qui a transmis le message divin ou après sa mort, alors que le pouvoir politique dominant dans une société dans laquelle surgit cette religion se forme lentement dans un passé antérieur jusqu’à trouver son équilibre avant l’avènement de cette religion dans  cette  société.  C’est  ainsi  que  le  premier  solstice  arrive  dans  le domaine du débat entre les deux pouvoirs, politique et religieux, parce la religion, en fonction de sa nature subite ne reconnait pas le pouvoir temporel en place et essaie de le déstabiliser pour se faire une place au soleil dans la société, ou se substituer à lui définitivement. Le choc se produit ainsi entre le pouvoir religieux et le pouvoir temporel ancien en place. Avec l’expansion de la religion et son incarnation en dehors de la personnalité du prophète vers la société, laquelle est chargée de la réguler

et à ce niveau, la société entre dans un solstice douloureux d’hiver et la violence commence. La violence entre en jeu comme un troisième acteur dans ce solstice d’été. Elle commence à apparaitre du côté du pouvoir temporel et la première génération des croyants de ce pouvoir religieux commence à résister avec courage et persévérance, ce qui force l’admiration et l’étonnement à la fois. Elle s’éloigne de tout ce qui touche ce monde éphémère et nourrit son espoir sur ce qui est Eternel c’est – à – dire Dieu, le Paradis, la satisfaction morale et l’estime de soi. C’est la première manifestation de la violence à laquelle les adeptes du nouveau pouvoir  religieux  vont  faire  face,  venant  des  autorités  du  pouvoir politique et ce à travers divers moyens de répression Les exemples foisonnent dans les religions.

On peut citer les premiers disciples de Moïse qui ont enduré les tortures

de Pharaon et l’exode était leur réponse pour lutter contre la violence. Pour les chrétiens c’est leur séparation avec les juifs qui a conduit Jésus à rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. Il a subi ce qu’il a subi à cause de la foi. Les disciples se dispersent et rédigent les évangiles.  Quant  à  l’islam  les  précurseurs  musulmans  ont  enduré  les tortures des infidèles (Kuffar). Une grosse pierre a été posée sur la poitrine de Bilal, le muezzin du Prophète PSL pendant qu’il répétait le slogan de l’islam « Unique, unique !

Ils ont empêché les premiers croyants de manger et de boire…

On peut citer aussi parmi ces difficultés, le refuge du prophète PSL à Taïf et les tortures qu’on lui a infligées.

–   L’émigration vers l’Ethiopie deux fois

Enfin l’hégire vers Médine. C’est ainsi que cela se passe toujours entre les partisans d’une nouvelle religion et les autorités du régime en place. Les partisans de la nouvelle religion subissent la maltraitance des autorités temporelles, la supportent et émigrent vers d’autres localités.

Dans un premier temps cette forme de résistance paraît dérisoire mais en réalité,  elle  est  plus  payante  que  la  répression  puisque  la  violence politique  est  limitée  alors  que  les  premiers  croyants  d’une  religion s’arment de patience et à leur tête l’envoyé de cette religion nouvelle. Ces nouveaux adeptes vivent cette étape avec patience, endurance, une dose d’estime de soi, une force morale inouïe avec l’espoir et une entière certitude.  La vie d’ici-bas est l’objectif du pouvoir temporel alors que le pouvoir religieux dépasse la vie d’ici-bas et intègre la vie à l’Au-delà c’est- à-dire l’Eternité.« Annonce à ceux qui croient et pratiquent de bonnes œuvres qu’ils auront pour demeure les jardins sous lesquels coulent les ruisseaux,  chaque  fois  qu’ils  seront  gratifiés  d’un  fruit  des  jardins,  ils diront : « c’est bien là ce qui nous avait été servi auparavant »Sourate la vache verset 25 La confrontation entre ces deux pouvoirs dans un premier temps imprime deux choses qui laissent des séquelles graves sur l’étape suivante.

La première est que la violence du pouvoir temporel sera la cause de la diffusion de cette religion parmi les gens vertueux, les marginaux, les révoltés, les radicaux…

Ce  qui  s’avère  impossible  si  on  fait  usage  des  moyens  traditionnels autorisés dans la société, telle que l’hérédité, l’appartenance tribale, proximité avec l’autorité etc…

La deuxième c’est la satisfaction d’une courte durée qu’éprouvent les autorités croyant que les autorités religieuses ont fini le combat et qu’elles ne représentent plus un danger, ni une menace.

Et la violence du début des événements se calme progressivement du côté du  pouvoir  temporel,  alors  que  la  religion  prend  de  plus  en  plus d’ampleur et de  puissance dans la localité d’accueil et elle s’organise parfaitement de l’intérieur se revêtant d’une nouvelle forme différente de celle du pouvoir temporel en place. Il  suffit  d’une  courte  durée  pour  que  le  pouvoir  religieux  devienne puissant et renverse l’ancien régime. Cela est vérifiable avec la révolution et la dynastie des Deeniyankoobe Le premier équinoxe :

Ce  qui  se  passe  toujours  avant  le  retour  en  force  d’un  mouvement religieux  après  sa  fuite  momentanée  par  l’exode,  c’est  qu’elle  reste pendant une certaine durée avec les populations et avec sa nouvelle force, elle démontre encore une fois sa puissance et l’échec du pouvoir temporal en place. Cela pousse le régime en place à trouver d’autres solutions consistant à partager le pouvoir et d’autres réformes nouvelles qui dans la plupart des cas convient à la communauté religieuse, mais ces réformes sont plus nourries de valeurs spirituelles, lesquelles sont déjà requises par la communauté. Alors le pouvoir religieux devient prometteur de deux paradis : Le Paradis terrestre et céleste « Quiconque,  mâle  ou  femelle,  fait  une  bonne  œuvre  tout  en  étant croyant,   Nous   lui   ferons   vivre   une   bonne   vie.   Et   Nous   les récompenserons,  certes,  en  fonction  des  meilleures  de  leurs  actions. Sourate les abeilles verset 97 » Le pouvoir religieux est alors puissant, plus profond et mieux apte à négocier et à faire des compromis avec Le pouvoir temporel. Avec le temps le pouvoir religieux devient lui-même princier.

Les anciens rois juifs, les empereurs romains qui ont cru en Jésus-Christ et les nouvelles dispositions islamiques après la conquête de la Mecque à savoir  « les  meilleurs  gens  pendant  la  période  antéislamique  sont  les meilleurs pendant l’islam ». « Celui qui entre dans la demeure de Abi Sufyan  est  en  sécurité ».  Tout  cela  c’est  des  signes  qui  annoncent  la présence d’un équinoxe entre les pouvoirs temporel et religieux. C’est des indicateurs qui annoncent la création des règles de cohabitation entre eux dans un modèle social nouveau dans lequel le temporel devient religieux et le religieux devient temporel.

Le pouvoir religieux demeure religieux et le pouvoir temporel devient temporel mais ils se rapprochent de plus en plus et chacun d’eux prend les caractéristiques de l’autre. Ainsi le pouvoir temporel contrôle les affaires religieuses  organisationnelles  à  caractère  social  tel  que  la  création  du service de culte et son contrôle ou le rapprochement avec les symboles religieux. En contrepartie la religion soutient et renforce le pouvoir temporel en légitimant de plusieurs manières : jeter des fleurs à l’autorité temporelle qui devient ainsi pendant le premier équinoxe comme une haute ombre de Dieu sur terre.

Pendant le premier équinoxe le pouvoir religieux devient culturel et ses manifestations apparaissent dans les différents domaines de la vie quotidienne de la communauté. L’accomplissement des rites, des pratiques deviennent des obligations communautaires admirées et glorifiées. Le pouvoir temporel se renouvelle durant ce premier équinoxe grâce aux réformateurs pieux, pendant que la religion s’enrichit de personnalités admirables et indispensables ; les érudits, les prêtres et les saints, une harmonie, une paix durable s’installent entre les deux pouvoirs. Cette situation pacifique et fructueuse règne entre à la fois pour la communauté et pour l’individu. Cependant elle ne cesse de traverser des zones de turbulence qui sont souvent implicites et maîtrisables, d’autres aigues et annonciatrices de nouvelles crises. Par exemple, des plaintes d’injustice politique et confirmation de cette injustice par les arguments religieux.

–   Par exercer un contrôle sévère sur les religieux que sur les autorités du pouvoir temporel. L’exemple est vécu par le non-respect de certains juges du pouvoir temporel des principes généraux de la religion par des actes condamnables par la charia.

Je  veux  dire  ces  faits  qui  ont  eu  cours  dans  les  trois  religions Abrahamiques ; la lutte acharnée entre les deux royaumes juifs de Juda et Jérusalem. Le mariage de Heraclius, ancien empereur byzantin et la fille de sa sœur Martina, qu’il ne plaise à tout le monde, projet de mariage entre Henri8 avec la veuve de son frère et l’opposition du Cardinal Walzi au nom de la religion, puis Henri 8 se proclama lui-même chef de l’Eglise

d’Angleterre malgré l’opposition de Thomas More. On peut citer aussi ce que certains califes de l’Islam ont fait tel que boire de l’alcool, au point que Yazid  bMu’awiya b Abi Sufyan fut célèbre par son comportement mondain et le fait de boire de l’alcool publiquement et d’autres exemples de comportements condamnables perpétrés par Yazid B Abdul Malick B Marwan. Il arrive aussi que pendant l’équinoxe du printemps qu’une seule autorité incarne les deux pouvoirs. Il devient ainsi difficile de faire la distinction entre ce qui est religieux et ce qui est pouvoir. Cette situation ambigüe provoque des causes qui conduisent aux dérives autoritaires et l’éclatement de l’unité religieuse elle-même.

On peut citer l’Eglise Sainte de la Panagia d’Asinou pour les Nestoriens, les témoins de Yéhova, les Puritains… dans l’islam, les kharidjites, les Chites, les wahabies, les salafistes etc…

Avec ces éclatements les choses changent et le solstice d’été commence. Dans des cas d’éclatement à l’intérieur d’un pouvoir temporel dominant, la relation entre le temporel et religieux devient complexe. Il est fréquent que le mouvement dissident s’appuie sur une interprétation spécifique du dogme originel, donc de la lecture que fait la majorité des communautés environnantes.  Ces  deux  lectures  dans  leur essence  trouvent  un  fond commun, dans un héritage énorme provenant des efforts qui interprètent la religion d’une manière consensuelle et non radicale. Pendant ce temps l’éclatement partiel vient avec une nouvelle lecture dérivée, radicaliste et catégorique. Et dans ce cas la confrontation devient inévitable. La branche qui a pris son autonomie ne manque de conviction, de certitude religieuse et d’enthousiasme.

Elle nait armée d’un arsenal juridique issu des flancs radicaux qui éteint au départ une note musicale solo et muette dans la symphonie de l’équinoxe du printemps. Voilà que cette note singulière fait taire à son compte le reste des autres et se singularise par une chanson unique et devient une symphonie particulière avec une forte résonance chancelante. C’est en ce moment qu’entre en jeu la violence comme troisième élément dans ce rapport entre les pouvoirs temporel et religieux. Cette fois-ci la violence devient très vive, profonde et dure car elle est le résultat de l’explosion des deux extrémités de l’équilibre. Au nom de la religion cette branche radicale  s’oriente  vers  une  violence  double, d’abord  contre  la réalité politique et contre les croyances populaires en cours dans la communauté et rejette la légitimité et obéit à des lectures contraires aux siennes, en ce sens qu’elle devient sectaire, elle fait face à deux situations à la fois. Dans le but d’assurer la sécurité de la communauté, les forces politiques utilisent la violence pour mettre hors d’état de nuire la branche religieuse radicale en essuyant de l’éradiquer sans se soucier de son fondement qui tient ses origines de cette communauté. C’est ainsi que tournent ces trois roues dans la société d’une manière hésitante, déséquilibrée, annonçant ainsi des crises perpétuelles. La roue du pouvoir temporel se dérègle à chaque fois qu’elle rencontre la nouvelle secte religieuse et prend des mesures et actes violents pour asseoir sa domination et cela conduit à des conséquences désastreuses pour la paix sociale. Les échos se font entendre quotidiennement  chez  d’autres  communautés,  autre  que  celle  qui  est visée.

Les  manifestations  augmentent.  Les  stratégies  du  pouvoir  temporel deviennent confuses. Quant à la roue du pouvoir religieux, elle s’enracine dans  la  conscience  collective  de  la  communauté,  devient  violence  et repliée sur elle-même.  La scission sociale augmente et se radicalise dans son  rejet  des  couches  sociales  et  des  autres  communautés  différentes d’elle. La roue de cette violence attise le feu entre les deux pouvoirs, feu qui nait de la haine réciproque. Cette haine se manifeste en violence chez la communauté religieuse et cela débouche sur une guerre sainte vive et spontanée. Le pouvoir temporel verra cette violence comme une sérieuse menace et prendra toutes les stratégies possibles pour garder son autorité, et il n’est pas question pour lui de se soucier de la légitimité ni des initiatives de cette violence. Il n’ouvre aucune fenêtre de dialogue, et n’observe aucun moment de répit en attendant le retour de l’équilibre. Il se  dira  « Celui  qui  n’est  pas  avec  nous  est  contre  nous »  Malgré  les rapports  complexes  que  nous  avons  mentionnés  existant  entre  les pouvoirs  (temporel,  religieux  et  traditionnel),  des  solutions  restent possibles,  solutions  qui  ouvrent  des  portes  de  dialogue  pour  une cohabitation pacifique entre les pouvoirs et une justice sociale équilibrée. Parmi ces solutions ont peut préconiser :

La compréhension mutuelle et la sensibilisation. Il est impossible de régler la dynamique interactive entre ces trois pouvoirs si on ne s’appuie pas sur une étude approfondie et dualiste de ce qui est religion et ce qui est pouvoir. Cela ne peut être possible que par une reconnaissance réciproque de la légalité du régime politique et la réalité  du  pouvoir de  la  communauté. Il faudra renforcer cette conscience chez les individus de la communauté et la traduire dans des programmes culturels et des méthodes éducatives qui éclairent cette exigence réciproque et consacre leur complémentarité dans l’action sociale, loin de la propagande stérile qui prône la séparation des deux pouvoirs et loin des sons de cloches qui soutiennent que toutes les religions appellent à l’Amour et la paix.

L’étude  que  nous demandons  d’être  approfondie et  d’être  bien comprise   est   la   reconnaissance   de   l’imbrication   ancienne   et l’interpénétration de ces deux pouvoirs et orienter chacune dans sa direction. Que le pouvoir politique cesse de croire que les domaines de son action  et  ses  différentes  activités  du  moment  suffisent  pour remplacer efficacement les courants absolus que réclame le pouvoir religieux.

Le pouvoir religieux à son tour doit reconnaitre les limites de sa légalité au moins dans son droit organisationnel pour mener des actions de régulation de la société et sa coopération avec le monde extérieur  dans  lequel,  les  religions,  les  croyances,  les  écoles juridiques sont différentes.

Ce que le pouvoir politique est capable de faire par ses propres moyens, le pouvoir religieux n’est pas assez outillé pour le faire et inversement le pouvoir politique ne peut pas remplacer le pouvoir religieux.

Le monde a changé et ne sera jamais ce qu’il était auparavant. Le pouvoir légal ne doit pas ignorer le pouvoir religieux qui a reconnu sa légitimité et approuvé la nécessité nouvelle de son existence.

D’un autre côté, le pouvoir religieux doit tendre à s’affirmer en renforçant son expérience spirituelle, et non à s’éloigner continuellement   du   champ   politique   et   à   sous-estimer   son importance en croyant que c’est la religion qui est l’unique solution et que les royaumes célestes sont devenus des propriétés des guides religieux  ou  que  Dieu  a  promis  et  qu’il  est  l’heure  de  la manifestation de ses promesses.

Il est aussi important d’avoir une compréhension approfondie des manifestations d’une religion ou d’une secte qui surgit, et ne pas essayer de l’étouffer dans son berceau avec violence.

L’expérience a montré que parmi ces sectes ou courants religieux que le pouvoir politique croit faussement avoir éradiquer, une branche va toujours s’échapper en héritant des précédents courants la violence et devient plus haineuse envers la société et les autorités du pouvoir temporel qu’elle considère comme des représentants de Satan.

Il faut une compréhension mutuelle qui consiste à ce que chaque pouvoir reconnaisse l’autre et admette sa diversité. Il est intéressant de rappeler que dans le pouvoir religieux, il y a la vie et que le pouvoir temporel ne peut pas se passer de la religion.

L’expérience humaine que ce soit chez l’individu ou la communauté est évolutive. On doit admettre la contradiction et privilégier le dialogue.

L’incompréhension ne peut exister durablement s’il y a le respect mutuel car la violence n’y aura pas de place. Personne ne prétendra détenir la vérité absolue.

Les solutions solidaires entre les pouvoirs doivent être observées. Dans tous les cas il faut éviter la radicalisation et l’extrémisme et la rigueur  aveugle  dans  la  conception  des  lois  et  des  règlements intérieurs et exécuter avec sagesse leur application. La rigueur à elle seule ne règle pas les choses comme nous l’apprend la nature. « Une pression forte et continue finit par provoquer une explosion ». Le monde est devenu un seul village grâce aux réseaux sociaux et les pays ne peuvent plus vivre isolés.

La nature des rapports entre les pouvoirs temporel religieux et traditionnel comme nous l’avons montré ont connu des fortunes diverses avec un dénominateur commun que constitue la violence et l’instabilité. Nous avons essayé aussi de démontrer, avec Yusuf Zaydan l’effet de ces actions comparées à deux solstices et deux équinoxes. Grâce au génie de nos guides religieux tels que Cheikh Saad Buh, Cheikh Sidya Bâ, Cheikh El Hadji MalickSy, Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké et le stratège Thierno SaïdouNourouTall notre pays a pu trouver une solution pacifique à la fois avec les chefs traditionnels et les français pour nous gratifier d’un pays qui fait aujourd’hui notre fierté, un pays de spiritualité, de tolérance, d’hospitalité et de liberté.

C’est la raison pour la laquelle nous allons emprunter encore à Sébastien D’Angelo des passages pour montrer comment nos guides se sont accommodés  avec  les  colonisateurs  pour  éviter  des  troubles  et  des atrocités qui auraient pu conduire notre nation à la dérive.

Sébastien  nous  dit  « A  la  fin du  19  siècle,  la  conquête  territoriale  du Sénégal était achevée et les réformateurs musulmans étaient pratiquement tous vaincus. L’heure était donc venue pour l’administration coloniale d’organiser un territoire pacifié et sécurisé. Cependant, le manque de légitimité des dirigeants français auprès des populations les a conduits à repenser leur politique coloniale.

Tout en maintenant  une  lourde  dépendance par rapport à des chefs choisis au sein des lignages aristocratiques traditionnels, les autorités coloniales  prenaient  désormais  en  compte  les  communautés maraboutiques liées au bassin arachidier pour établir des relations stables avec elles »

Mais celui qui s’est le plus illustré dans cette transition est sans nul doute le vénérable Thierno Saïdou Nourou Tall grâce à son savoir, son charisme, sa générosité, son courage, sa sainteté et son désintéressement total des biens terrestres, il a pu être le porte-parole de l’Afrique pour prêcher la bonne nouvelle. Il fut l’apôtre de la paix sociale en Afrique et du Sénégal. Nous citerons quelques témoignages parmi des centaines, écrits par les adversaires de son grand père Cheikh Omar Al-FutiTall eux – mêmes.

1.  « Vous  avez  parcouru  les  routes  de  la  Guinée,  prêchant  partout, comme les Saints Vénérés de l’Islam, le noble principe de fraternité humaine qui est à la base de votre doctrine religieuse et que s’est également donnée pour idéal la République Française pussiez-vous, de longues années encore exercer à travers toute l’Afrique noire votre magnifique apostolat »

Conakry, le 08 janvier 1938, Signé TAP

Gouverneur p.i de la Guinée Française.

2. « Sa science religieuse, sa vive intelligence plus que le prestige de son origine, son désintéressement, sa connaissance de l’âme noire, l’idéal élevé  qu’il  poursuit,  les  services  rendus  à  la  cause  musulmane expliquent l’immense influence dont il jouit dans le monde musulman et dans tous les milieux indigènes de l’Afrique.

L’accueil chaleureux qui lui a été réservé par la population de Mopti prouve que ce Grand Chef est compris et aimé.

Mopti, le 14/10/1937, Signé Rannou

Administrateur, Maire le Mopti

3. Thierno Saïdou Nourou Tall ! Belle et Noble figure coloniale dont les qualités de cœur et d’esprit s’affirment chaque jour davantage dans toute l’Afrique, qualités mises généreusement au service de la cause française   que   ce   Grand   Marabout   sert   et   défend   avec   un désintéressement, une abnégation, une conviction au-dessus de tout éloge. Vénérable apôtre d’une mission sacrée qu’il tient de sa religion, Thierno Saïdou NourouTall porte partout la bonne nouvelle, sème les ferments d’union, de concorde, de fraternité, de charité, de loyalisme qu’il puise à pleines mains dans son cœur généreux délicat et sensible. J’ai rencontré Thierno Saïdou Nourou Tall, pour la première fois à Man, en Côte d’Ivoire, et je fus frappé par sa vive intelligence, son regard franc et honnête où reflète une foi ardente, une volonté tenace en même temps qu’une bonté infinie, toutes qualités qui classent un homme et l’élèvent du premier coup sur un plan supérieur, parmi les sages.

L’action  bienfaisante  et  féconde  de  Thierno  Saïdou  NourouTall s’affermit  ici  à  Brazzaville,  comme  s’est  révélée  efficace  en  Côte d’Ivoire.

Là-bas, parmi les populations de races différentes, sa parole fut écoutée religieusement, ses conseils suivis, ses préceptes appliqués.

Aujourd’hui dans ce pays qu’il s’apprête à quitter et duquel nous le verrons s’éloigner à regret il continue de lutter pour la bonne cause, de prêcher les  principes  d’humanité,  de  justice, de  travail sur lesquels repose l’édifice qui s’appelle une plus grande France, et de se consacrer au  relèvement  matériel  moral  et  social  de  tous  ses  congénères  à quelque race qu’ils appartiennent.

Descendant distingué d’El Hadji Omar duquel il a hérité les qualités chevaleresques, Thierno Saïdou NourouTall possède au plus haut point le don d’étonner, d’émouvoir de convaincre, de ravir son auditeur, son dévouement, sa parole puissante et écoutée en font l’un des plus précieux et grands amis de la France … »

Brazzaville, le 25mars 1937, Signé Cortinchi

Administrateur, Maire de la commune de Brazzaville

4. « …Ce grand ami de la France nous a toujours rendu de précieux services auprès des populations qu’il visite que ce soient des musulmans ou des fétichistes la bonne parole pour notre cause à toujours été écoutée religieusement par les indignes la franchise est aussi grande auprès des Européens que son prestige auprès des indigènes.

D’une tenue parfaite au cours de ses nombreuses tournées à toujours fait l’aumône et n’a jamais rien reçu des populations qu’il visite. Il donne et ne reçoit rien.

Man, le 30 mars 1936, Signé : Vaseilles, administrateur

Adjoint commandant du cercle de Man.

Le thème de la conférence de cette 44e édition à savoir :

« Les  relations  entre  les  pouvoirs  temporel,  religieux  et  traditionnel :

quelle  dynamique  interactive  pour  le  développement  durable  de  la nation » dédiée à Thierno Saïdou NourouTall et à Thierno Mountaga Ahmed Tall a été bien choisi car Thierno Saïdou NourouTall incarne ces trois pouvoirs et a pu les concilier.

« Thierno Saïdou NourouTall, fils de Nourou, fils d’El Hadji Omar, fils de Seydou, fils de Ousmane, fils de Mokhtar, fils de Alpha Amadou Samba à Halwar ( FoutaTorro) »

Thierno Saïdou NourouTall fils Aissatou Kamissoko, fille de Kouroumba Makha, foulaténé Sambery, Foulaténé Bassy, Foulaténé Woura, Dinnamakha, Sambery Ba, Madidié MaditaHâboula, SadigaHamady Niankité Soundiata, Roi Gâdougou, Maliinké (Cercle de Kita)

Toutes ces trois lignées sont régnantes et ont régné du Fouta Toro Sénégal à l’actuelle Nigéria sous domination Anglaise »

Si les idées de Thierno SaïdouNourou Tall avaient été traduites en actes, le Sénégal aurait pu se passer des actes de la décentralisation de 1872, de 1972, de 1996 et de 2013 car elles contiennent tous les ferments d’un développement durable et un bien être pour tous les citoyens. Je vous remercie.

Conférence présentée par : Abdoul Malal Diop Docteur d’Etat

•  Maître de conférence assimilé

•  Ancien Ministre

•  Ancien Ambassadeur

Dakar, le 25 janvier 2024

BIBLIOGRAPHIE

1.  Le Saint Coran

2. D’Angelo Sébastien : Politique et Marabouts au Sénégal 1854 – 2012

l’harmatan D/2013/4910/45

3. Kane Oumar : la première Hégémonie Peule duFuuta-Toro, de Koli

Tengella à Almaami Abdoul Karthala janvier 2012

4. Sall Ibrahima Abou : les relations entre le Fuuta -Tooro et l’Emirat de Brakna  (moyenne  vallée  –  Sénégal)  un  terreau  du  colonialisme français 1850 – 1903 l’harmattan 2013

5. Sall Ibrahima Abou : Mauritanie du Sud conquêtes et administration coloniales françaises 1890-1945 Karthala 2007

6. Gaspard Théodore Mollien – Voyage dans l’intérieur de l’Afrique, aux sources du Sénégal et de la Gambie, fait en 1818 l’Harmattan

2007

7. Dumond  Fernand  l’Anti-Sultan  ou  Al-Hadj  Omar  Tall  du  Fuuta combattant de la foi NEA 1974

8. Wane Yaya : les Toucouleur du FuutaTooro (Sénégal) stratification sociale et structure familiale IFAN Dakar 1969

9. Robinson David la guerre sainte d’Al Hadj Oumar Karthala 1988

10.Dalafosse Maurice Chroniques du Fouta Sénégalais ; 1913

11. Brigaud Felix : Histoire traditionnelle du Sénégal CRDS – Sénégal

Saint-Louis du Sénégal 1962

12.Islam, résistances et Etat en Afrique de l’ouest 19e   et 20e   siècles symposium du 20 au 23 novembre 2000 Dakar

13.Bicentenaire de la naissance du Cheikh El hadj Oumar Al-FutiTall colloque international 14-19 décembre 1998 Dakar – Sénégal

14.Bulletin de l’IFAN série B : Sciences Humaines n° 1 ; 1968

15.Afrique  histoire : La culture  noire  reconnue et respectée Alioune

Diop présence Africaine n° 10/1984

16.Historiens et géographes du Sénégal : pouvoir colonial et sociétés sénégambiennes n°3 avril 1988

17.Historiens et géographes du Sénégal : nationalisme et indépendance en Afrique n° 6,2° semestre 1991

18.Historiens  et  géographes  du  Sénégal :  démocratie  et  pouvoir  en

Afrique n° 7 ; 2e semestre 1999

19.Archives nationales du Sénégal (recueil)

20.Recueil de textes de la décentralisation :

21.Primature secrétariat général du gouvernement février 1997

SOURCES EN ARABE

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3. Bâ Aboubakry Khalid : Elhadji Oumar Al-Futi sa vie et sa guerre sainte 1980 Institut Mauritanien de la recherche

4.Serigne Qadi Oumar Fall sa vie et son œuvre mémoire C.A.E.M. ENS 2012 – 2013, Souleymane Fall

5. L’Empire du Djolof : Histoire et civilisation mémoire C.A.E.M.Buwaydi Bâ 2019- 2020

6. 00

7. Le  rôle  géopolitique  de  l’Imam  Maba  Diakhou  Bâ  dans  l’espace Sénégambien mémoire C.A.E.M AssaneSeck 2015-2016

8. Mohamed  Youri  Fall :  Cheikh  Souleymane  Ball  pionnier  de  la révolution au FoutaTooro (1965-1776) Timbuktu éditions 2019

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1 COMMENTAIRE

  1. Bravo à la Cezat. Voilà un contenu plus que pertinent, un écrit-recours, un bréviaire, de ceux qui vous apportent une plus-value intellectuelle sure. Merci pour le partage, merci, Monsieur le Ministre…

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