dimanche, avril 28, 2024
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Le Cèdre: un poème méconnu de Victor Hugo comme antidote à l’islamophobie

Avec « Le Cèdre », un poème méconnu de La Légende des siècles, Victor Hugo se dresse contre le tumulte médiatique qui suit l’assassinat, le 15 juin 1858, des consuls français et britannique dans la ville de Djeddah, alors sous domination ottomane. En faisant dialoguer le calife Omar et saint Jean l’Évangéliste, il inscrit résolument l’islam dans une perspective humaniste universelle.

Dans ce long et majestueux poème composé en alexandrins, Victor Hugo décrit le calife Omar cheminant sur la grève de Djeddah, prenant soin de le munir de son bâton, célèbre dans l’historiographie musulmane. Le second successeur de « Mahomet » y rencontre un vieux cèdre, auquel il ordonne de s’arracher du rocher dans lequel il est enraciné pour s’envoler « au nom du Dieu vivant » et rejoindre saint Jean l’Évangéliste, l’auteur de « l’Apocalypse », endormi sur une plage de l’île grecque de Patmos. L’invocation du Dieu « vivant » par Hugo corrobore la fonction de réveil de la vie, occupée par le cèdre dans le poème. Ce voyage onirique rappelle l’isra’ et le mi‘raj ou voyage nocturne du Prophète, de La Mecque à Jérusalem, qui symbolise le lien entre l’islam et les deux autres grands monothéismes.

« Le Cèdre » associe donc la Genèse (Ève) à l’Apocalypse et au Coran en un raccourci mystique de l’histoire de l’humanité. « C’est de l’histoire écoutée aux portes de la légende », pour reprendre les termes d’Hugo dans sa préface. Il établit aussi un pont symbolique entre un Orient enraciné à Djeddah et un Occident apocalyptique à travers un dialogue entre le calife Omar et saint Jean l’Évangéliste. Victor Hugo fait preuve d’une connaissance certaine de l’islam en appelant Jésus de son nom arabe : « Issa ».

LE CEDRE

Omer, scheik de l’Islam et de la loi nouvelle

Que Mahomet ajoute à ce qu’Issa révèle,

Marchant, puis s’arrêtant, et sur son long bâton,

Par moments, comme un pâtre, appuyant son menton,

Errait près de Djeddah la sainte, sur la grève

De la mer Rouge, où Dieu luit comme au fond d’un rêve,

Dans le désert jadis noir de l’ombre des cieux,

Où Moïse voilé passait mystérieux.

Tout en marchant ainsi, plein d’une grave idée,

Par-dessus le désert, l’Égypte et la Judée,

À Pathmos, au penchant d’un mont, chauve sommet,

Il vit Jean qui, couché sur le sable, dormait.

Car saint Jean n’est pas mort, l’effrayant solitaire ;

Dieu le tient en réserve ; il reste sur la terre

Ainsi qu’Énoch le Juste, et, comme il est écrit,

Ainsi qu’Élie, afin de vaincre l’Antéchrist.

Jean dormait ; ces regards étaient fermés qui virent

Les océans du songe où les astres chavirent ;

L’obscur sommeil couvrait cet œil illuminé,

Le seul chez les vivants auquel il fut donné

De regarder, par l’âpre ouverture du gouffre,

Les anges noirs vêtus de cuirasses de soufre,

Et de voir les Babels pencher, et les Sions

Tomber, et s’écrouler les blêmes visions,

Et les religions rire prostituées,

Et des noms de blasphème errer dans les nuées.

Jean dormait, et sa tête était nue au soleil.

Omer, le puissant prêtre, aux prophètes pareil,

Aperçut, tout auprès de la mer Rouge, à l’ombre

D’un santon, un vieux cèdre au grand feuillage sombre

Croissant dans un rocher qui bordait le chemin ;

Scheik Omer étendit à l’horizon sa main

Vers le nord habité par les aigles rapaces,

Et, montrant au vieux cèdre, au delà des espaces,

La mer Égée, et Jean endormi dans Pathmos,

Il poussa du doigt l’arbre et prononça ces mots :

« Va, cèdre ! va couvrir de ton ombre cet homme. »

Le blanc spectre de sel qui regarde Sodome

N’est pas plus immobile au bord du lac amer

Que ne le fut le cèdre à qui parlait Omer ;

Plus rétif que l’onagre à la voix de son maître,

L’arbre n’agita pas une branche.

Le prêtre

Dit : « Va donc ! » et frappa l’arbre de son bâton.

Le cèdre, enraciné sous le mur du santon,

N’eut pas même un frisson et demeura paisible.

Le scheik alors tourna ses yeux vers l’invisible,

Fit trois pas, puis, ouvrant sa droite et la levant :

« Va ! cria-t-il, va, cèdre, au nom du Dieu vivant !

— Que n’as-tu prononcé ce nom plus tôt ? » dit l’arbre.

Et, frissonnant, brisant le dur rocher de marbre,

Dressant ses bras ainsi qu’un vaisseau ses agrès,

Fendant la vieille terre aïeule des forêts,

Le grand cèdre, arrachant aux profondes crevasses

Son tronc et sa racine et ses ongles vivaces,

S’envola comme un sombre et formidable oiseau.

Il passa le mont Gour posé comme un boisseau

Sur la rouge lueur des forgerons d’Érèbe ;

Laissa derrière lui Gophna, Jéricho, Thèbe,

L’Égypte aux dieux sans nombre, informe panthéon,

Le Nil, fleuve d’Éden, qu’Adam nommait Gehon,

Le champ de Galgala plein de couteaux de pierre,

Ur, d’où vint Abraham, Bethsad, où naquit Pierre,

Et, quittant le désert d’où sortent les fléaux,

Traversa Chanaan d’Arphac à Borcéos ;

Là, retrouvant la mer, vaste, obscure, sublime,

Il plongea dans la nue énorme de l’abîme,

Et, franchissant les flots, sombre gouffre ennemi,

Vint s’abattre à Pathmos près de Jean endormi.

Jean, s’étant réveillé, vit l’arbre, et le prophète

Songea, surpris d’avoir de l’ombre sur sa tête ;

Puis il dit, redoutable en sa sérénité :

« Arbre, que fais-tu là ? Pourquoi t’es-tu hâté

De sourdre, de germer, de grandir dans une heure ?

Pourquoi donner de l’ombre au roc où je demeure ?

L’ordre éternel n’a point de ces rapidités ;

Jéhovah, dont les yeux s’ouvrent de tous côtés,

Veut que l’œuvre soit lente, et que l’arbre se fonde

Sur un pied fort, scellé dans l’argile profonde ;

Pendant qu’un arbre naît, bien des hommes mourront ;

La pluie est sa servante, et, par le bois du tronc,

La racine aux rameaux frissonnants distribue

L’eau qui se change en séve aussitôt qu’elle est bue.

Dieu le nourrit de terre, et, l’en rassasiant,

Veut que l’arbre soit dur, solide et patient,

Pour qu’il brave, à travers sa rude carapace,

Les coups de fouet du vent tumultueux qui passe,

Pour qu’il porte le temps comme l’âne son bât,

Et qu’on puisse compter, quand la hache l’abat,

Les ans de sa durée aux anneaux de sa séve ;

Un cèdre n’est pas fait pour croître comme un rêve ;

Ce que l’heure a construit, l’instant peut le briser. »

Le cèdre répondit : « Jean, pourquoi m’accuser ?

Jean, si je suis ici, c’est par l’ordre d’un homme. »

Et Jean, fauve songeur qu’en frémissant on nomme,

Reprit : « Quel est cet homme à qui tout se soumet ? »

L’arbre dit : « C’est Omer, prêtre de Mahomet.

J’étais près de Djeddah depuis des ans sans nombre ;

Il m’a dit de venir te couvrir de mon ombre. »

Alors Jean, oublié par Dieu chez les vivants,

Se tourna vers le sud et cria dans les vents

Par-dessus le rivage austère de son île :

« Nouveaux venus, laissez la nature tranquille. »

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